samedi 12 novembre 2016

Histoire du Canal de Suez

Dès l'Antiquité, on eut l'idée d'établir à travers l'isthme de Suez une voie navigable, mais on chercha toujours à joindre le Nil à la mer Rouge par le lac Timsah. Tel fut le canal entrepris par le pharaon Nechao (Neko), vers 600 av. J.-C., continué plus tard par Darius et terminé par Ptolémée II. Bientôt obstrué, il fut rétabli par l'empereur Trajan, puis par le conquérant arabe Amrou vers 640, comblé enfin au VIIIe siècle.
Le projet de jonction des deux mers fut repris au XVIe siècle par les Vénitiens, puis par Bonaparte lors de l'Expédition d'Egypte; en 1846, Enfantin et quelques saint-simoniens étudièrent de nouveau la question. Enfin, Ferdinand de Lesseps soumit au khédive un plan de percement de l'isthme, qui fut accepté et, en 1856, un firman lui accorda la concession du canal. Les travaux furent commencés le 25 avril 1859 et le canal, long de 162 km, inauguré solennellement le 17 novembre 1869. Plusieurs gares ou stations ont été établies sur le trajet; la principale, au centre, est Ismaïlia. A l'entrée Port-Saïd et Suez ont été aménagés.
Le percement de l'isthme de Suez a amené une véritable révolution dans la vie économique du monde, en rapprochant de l'Europe les pays de l'océan Indien et du Pacifique. Londres, par exemple, s'est trouvé à 3100 kilomètres de Bombay au lieu de 6000. Le transit s'est développé avec une grande rapidité. Le canal est ainsi devenu d'emblée un enjeu stratégique majeur.
L'Angleterre a cherché à s'assurer la possession de cette nouvelle route des Indes. En 1875, elle acheta au khédive, endetté, les actions du canal qui lui appartenaient; en octobre 1888, une convention conclue à Londres a neutralisé le canal. Au terme de celle-ci, le canal devait être ouvert en tout temps aux navires de tous les Etats, il ne pouvait être mis en état de blocus; aucun acte d'hostilité ne pouvait être accompli ni dans ses ports d'accès, ni dans un rayon de trois milles; etc.
La neutralité du canal, placée sous la haute protection du Royaume-Uni, principal actionnaire de la Compagnie du canal, a duré jusqu'en 1948, date à laquelle l'Egypte en a interdit l'accès au tout nouvel Etat d'Israël. En 1956, le chef d'Etat Egyptien, Nasser, a décidé la nationalisation du canal. Cette décision a suscité une intervention militaire d'Israël, épaulée par le Royaume-Uni et la France. La crise internationale suscitée par cette action conduisit au retrait rapide des troupes. Le canal a été réouvert après quelques mois de fermeture. Devenu ligne de front entre Israël et l'Egypte à la suite de la Guerre des Six jours en 1967, le canal a de nouveau été fermé à la navigation, cette fois plus longtemps : jusqu'en 1975. Le canal est resté depuis sous le contrôle égyptien.
Les origines.
Le canal des Pharaons.
Seti Ier et son fils Ramsès II (le Sésostris des Grecs) auraient, au dire de Strabon et de Pline, réalisé, dès le XIVe siècle av. J.-C. la jonction de la Méditerranée et de la mer Rouge. Le canal qu'ils firent creuser et que les Egyptiens appelaient ta tenat, c.-à-d. « la percée », se détachait de la branche la plus orientale du Nil, la branche Pélusiaque, aux environs de Bubastis (auj. Zagasig), suivait, de là, jusqu'au lac Timsah, la vallée de l'Ouadi-Toumilat (peut-être la terre de Gessen de la Bible), orientée de I'Ouest, à l'Est, puis, tournant brusquement au Sud, traversait les lacs Amers et venait se déverser dans la mer Rouge à Arsinoé, tout près de la Suez actuelle. On n'a, du reste, sur ses dimensions que des données fort vagues et il n'aurait jamais servi, d'après quelques auteurs, que comme canal d'irrigation. Il semble, dans tous les cas, qu'il ait été, dès, le Xe siècle, comblé par les sables et, dans les dernières années du VIIe siècle, Nechao (Neko), fils de Psammétique Ier, entreprit d'en construire un nouveau, qui devait, comme tracé, s'écarter fort peu de l'ancien, si même il ne lui empruntait tout, ou partie de son lit. 120 000 hommes périrent à ces travaux. Pourtant, ils furent interrompus, un oracle ayant prédit à Nechao que le canal ne servirait qu'aux « barbares », autrement dit aux Phéniciens, et ce fut Darius, fils d'Hystaspe, qui, cent ans plus tard, l'acheva.
Il avait, au rapport d'Hérodote, une longueur de quatre journées de navigation et il était assez large pour que deux trirèmes pussent y naviguer côte à côte. Ptolémée II Philadelphe, qui monta sur le trône au commencement du IIIe siècle, y travailla à nouveau, soit que les sables l'aient, une fois de plus, en partie obstrué, soit qu'il s'agit seulement de l'améliorer sur quelques points, et Strabon, d'accord en cela avec Pline et Diodore de Sicile, soutient même que l'inauguration n'en eut lieu que sous ce dernier prince, en 277. Mais leur témoignage se trouve contredit par le récit très affirmatif et très détaillé d'Hérodote, lequel écrivait au Ve siècle, et les améliorations de Ptolémée durent consister surtout dans l'édification, à Arsinoé, d'un « euripe », sorte d'écluse rudimentaire, qui permettait, dit Strabon, de passer facilement du canal dans la mer, et réciproquement. Le commerce paraît, du reste, n'avoir que peu fréquenté cette voie de transit, peut-être à raison de la difficulté de la navigation dans la mer Rouge, et elle n'eut jamais guère, conséquemment, à ces époques reculées, qu'un intérêt local ou stratégique. L'entretien en était, par surcroît, fort coûteux. Aussi, la mobilité des sables du désert aidant, l'empereur Trajan dut-il, dans les premières années du IIe siècle de notre ère, rétablir, une fois encore et à grands frais, la communication, en reportant, cette fois, la prise d'eau un peu plus au Sud, à l'aide d'une section nouvelle allant du Caire à Belbis (Amnis Trajanus).
Les projets médiévaux et modernes.
En 645, Amr ibn al-Asi, le conquérant arabe de l'Egypte, devenu par la suite son émir, procéda, à son tour, à d'importants travaux de réfection; mais en 755, un calife abbâsside, Abou-Djafar al-Mansour, fit tout combler, afin de fermer l'accès de l'Egypte à l'armée d'un de ses oncles révolté, et, du « canal des Quatre rois », comme on l'appelait en souvenir de ses quatre premiers constructeurs, Ramsès, Nechao, Darius et Ptolémée, il ne subsista bientôt plus que, par-ci par-là, de rares et peu visibles vestiges, tandis que les lacs Amers, désormais privés de toute communication avec le Nil et avec la mer Rouge, se transformaient peu à peu en une lagune morte, puis en un vaste banc, de sel d'une dizaine de kilomètres sur cinq.
Les choses demeurèrent en cet état pendant plus de mille ans. Les Vénitiens projetèrent bien, en 1508, à la suite de la découverte de la route du cap de Bonne-Espérance, qui détournait au profit des Hollandais une grande partie de leur commerce avec l'Orient, d'entreprendre, suivant un plan dressé par Niccolo Conti, un nouveau percement de l'isthme. De son côté, Leibniz fit à Louis XIV, en 1671, une proposition analogue et il s'en fallut de peu qu'en 1768 le fameux baron de Tott ne décidât le sultan Mustafa III à tenter lui-même cette gigantesque opération.
L'expédition d'Egypte et ses conséquences.
Mais ce fut, en réalité, la Révolution française qui posa, la première, le problème de telle manière qu'il ne fût plus possible de le laisser dormir. Le percement de l'isthme de Suez figurait, en effet, au programme que le Directoire donna à l'expédition d'Egypte et, le 24 décembre 1798, Bonaparte, accompagné du général Berthier, de Monge, de Berthollet et de quelques autres membres de l'Institut, partait du Caire à la recherche du canal des Pharaons. Le 30, il en retrouvait, au Nord de Suez, quelques traces, qu'il put suivre pendant une vingtaine de kilomètres, et, le 3 janvier 1799, il découvrait, près de Belbis, son autre extrémité. Il laissa sur les lieux un ingénieur de l'expédition, Gratien Lepère. Deux ans après, celui-ci lui remettait, au nom de la commission d'études, un Mémoire sur la communication de la mer des Indes à la Méditerranée par la mer Rouge et l'isthme de Suez. Ce travail, très complet, préconisait un tracé qui différait peu de celui de l'ancien canal et qui allait rejoindre la mer à Alexandrie, en traversant et empruntant tour à tour les branches du Nil. La dépense était évaluée à 30 millions de francs, la durée du travail à dix années.
La chose est grande, dit le premier consul; mais ce ne sera pas moi qui, maintenant, pourrai l'accomplir.
Le projet renfermait, d'ailleurs, une erreur, fondamentale, contre laquelle s'élevèrent Laplace et Fourier, mais qui, restée accréditée, ne contribua pas peu à retarder la solution-: il attribuait à la mer Rouge un niveau supérieur de 9,908 m à celui de la Méditerranée. C'est imbus de cette donnée qu'Hommaire de Hell, Linant de Bellefonds, devenu ensuite Linant-Bey, et quelques autres ingénieurs encore, reprirent, trente ou quarante ans plus tard, la question et proposèrent, à leur tour, une série de systèmes, qui ne s'écartaient guère, comme tracé, du précédent, et qui restèrent tous, comme lui, dans le domaine des spéculations théoriques. La société internationale, formée en 1846 par Enfantin, le chef de l'école saint-simonienne, en vue de réunir, par des études rigoureuses et complètes, les éléments d'une solution définitive, n'aboutit non plus, malgré le soin avec lequel elle fut constituée et les garanties de tous ordres qu'elle présentait, à aucun résultat positif. Elle était composée de trois groupes, l'un français, les deux autres allemand et anglais, et elle avait chargé de la direction du travail trois de ses membres, Paulin Talabot, Negrelli et Robert Stephenson.
Tout d'abord, une brigade française alla s'assurer, sous les ordres de Bourdaloue et avec la coopération d'ingénieurs égyptiens, que, contrairement à l'assertion de Lepère, la différence de niveau des deux mers était sinon nulle, du moins presque insignifiante (0,18 m environ). Puis Talabot dressa un projet, qui devait, plus tard, lorsque le principe du percement fut une fois admis, être pris un instant en très sérieuse considération et qui consistait en un canal à douze écluses alimenté par le Nil et comprenant deux branches, l'une de Suez au barrage de Méhémet-Ali, un peu au-dessous du Caire, l'autre de ce point à Alexandrie. La longueur totale était de 392 kilomètres et le devis ne dépassait pas 162 millions. Negrelli se prononça, au contraire, de même que deux des ingénieurs du gouvernement égyptien qui avalent pris part aux opérations du nivellement, Linant-Bey et Mougel-Bey, pour un canal direct et sans écluses. Quant au tracé que proposèrent, vers le même temps, les frères Barrault, il allait bien de Suez à la Méditerranée en ligne droite, par les lacs Amers et Menzaleh, mais, arrivé près de la mer, il obliquait à l'Ouest et la cotoyait jusqu'à Alexandrie, sur 160 à 170 kilomètres.
Le projet de Ferdinand de Lesseps.
Les premiers firmans de conscession.
Il était réservé à Ferdinand de Lesseps de mener la question à terme. Déjà lors d'un premier séjour en Egypte, où il avait été, de 1832 à 1838, vice-consul et consul, sous le règne de Méhémet-Ali, il s'en était fortement préoccupé. Le hasard avait mis, à cette époque, entre ses mains, pendant une longue quarantaine dans la rade d'Alexandrie, le rapport de Lepère à Bonaparte. Il s'y était intéressé. Puis, à diverses reprises, l'idée l'avait à nouveau travaillé, et, pendant les loisirs forcés que le gouvernement lui avait faits à la suite des événements de 1849, il avait achevé de la mûrir. Pour lui, la possibilité du percement ne faisait aucun doute. Il s'en était même ouvert confidentiellement, en 1852, au consul général des Pays-Bas à Alexandrie, W. Ruyssenaers, et à un banquier de ses amis, Benoît Fould, et leur avait soumis son plan. Mais la présence sur le trône d'Egypte d'Abbas-Pacha, qui avait peu d'affinités avec les Français, lui apparaissait comme un obstacle insurmontable, et il avait pris le parti d'attendre, lorsque, le 16 juillet 1854, tandis qu'il travaillait à faire élever dans la propriété de sa belle-mère, à la Chenaie, une ferme modèle, il apprit par les journaux la mort du vice-roi et l'avènement d'un fils de Méhémet-Ali, Mohammed-Saïd, jeune homme intelligent et sympathique, qu'il avait presque élevé et dont il était resté le grand ami. Le 7 novembre, il débarqua à Alexandrie, pour le féliciter; le 13, il partit avec lui pour un voyage au Caire par le désert Lybique; le 15 au soir, au camp de Maréa, sous la tente, il lui confia, pour la première fois, son grand projet, que Mohammed-Saïd déclara du reste aussitôt accepter; enfin le 30, six jours après l'arrivée au Caire, il obtint un premier acte de concession. Le caractère « universel » de l'entreprise était affirmé dès le préambule du document, adressé par le vice-roi « à son dévoué ami de haute naissance et de rang élevé », et il était spécifié, dans le dispositif, que les tarifs des droits de passage seraient toujours égaux pour toutes les nations,
« aucun avantage particulier ne pouvant jamais être stipulé au profit exclusif d'aucune d'elles »
Les études préparatoires
Les études commencèrent sur le champ. Les premiers frais en furent couverts par une société de cent fondateurs, anciens collègues ou amis personnels de Ferdinand de Lesseps, qui mirent chacun 5000 F dans l'entreprise; puis ce fut le vice-roi qui, de sa bourse, pourvut au surplus des dépenses. Elles furent assez élevées. Il y eut d'abord une exploration de l'isthme, entre Suez et le lac Menzaleh, par Ferdinand de Lesseps et les deux ingénieurs du vice-roi qui avaient antérieurement coopéré aux travaux de la société saint-simonnienne, Linant-Bey et Mongel-Bey (24 décembre 1854-15 janvier 1855). Deux mois après, le 20 mars, ces deux ingénieurs présentaient, d'après les instructions de Ferdinand de Lesseps, un rapport d'avant-projet, qui concluait, conformément à l'opinion déjà autrefois émise par eux, à un canal direct et sans écluses, allant, presque en ligne droite, de Suez à Péluse, sur la côte de la Méditerranée, en profitant des dépressions des lacs Amers, et du lac Timsah. Un second canal, partant du Nil et aboutissant par la vallée de l'Ouadi Toumilat à ce dernier lac, devait, au moyen de deux branches secondaires, l'une vers Suez, l'autre vers Péluse, amener l'eau douce aux travailleurs, en même temps que féconder ces régions. La dépense totale était estimée à 185 millions de F, la durée maximum des travaux à six années, les recettes annuelles de l'exploitation à 30 millions de francs à raison d'un droit de passage de 10 F par tonneau. Les cinq mois qui suivirent furent employés à faire exécuter, sur le trajet du tracé projeté, toute une suite de nivellements et de sondages par deux brigades d'ingénieurs et de géologues, secondées par un demi-bataillon du génie. Puis, à la fin de septembre et afin de répondre, d'une part, aux objections des partisans d'un tracé indirect, d'autre part à la campagne de diffamations et d'injures que la presse britannique, soutenue par son gouvernement, avait tout de suite engagée contre le projet et son auteur, une « commission scientifique internationale » fut constituée, avec mission de se prononcer entre les affirmations de Ferdinand de Lesseps. qui déclarait le percement direct possible et rémunérateur, et les allégations de lord Palmerston, alors premier ministre anglais, qui le proclamait impossible et néfaste. Elle comprenait dix membres Renaud et Lieusson pour la France, Rendel, Mac Clean et Ch. Manby pour l'Angleterre, Negrelli pour l'Autriche, Paleocapa pour l'Italie, Conrad pour la Hollande, Montessino pour l'Espagne, Lentze pour la Prusse. Elle tint sa première réunion à Paris, le 30 octobre. Le 8 novembre, cinq de ses membres partirent de Marseille pour l'Egypte et, le 2 janvier 1656, ils se prononcèrent à l'unanimité, dans un rapport adressé au vice-roi, pour l'adoption de l'avant-projet Linant-Mougel, reportant seulement le débouché dans la Méditerranée à 28 kilomètres plus à l'Ouest et évaluant à 200 millions la dépense totale. Le 5 janvier, un deuxième acte de concession venait confirmer et compléter le premier. Il déclarait solennellement :
« le grand canal maritime de Suez à Péluse et les ports en dépendant ouverts à toujours, comme passages neutres, à tous navires de commerce traversant d'une mer à l'autre ».
En même temps, il fixait les privilèges et les charges de la compagnie à constituer, notamment la durée de la concession, les conditions du concours du gouvernement égyptien la part à lui revenir dans les bénéfices, etc. Les 23, 24 et 25 juin, la commission internationale eut à Paris une série de réunions nouvelles au cours desquelles elle arrêta diverses résolutions de détails. Dans les premiers jours de l'année 1857, l'Académie des sciences donna, conformément aux conclusions de son rapporteur, Ch. Dupin, une entière approbation tant à l'entreprise elle-même qu'aux moyens d'exécution proposés. Le 15 décembre 1858, après quatre années de négociations et de luttes incessantes et malgré les difficultés de toute sorte qu'avaient continué de susciter à Ferdinand de Lesseps, tant au Caire qu'à Constantinople et auprès des autres gouvernements européens, la diplomatie et la finance anglaises, la « Compagnie universelle du canal maritime de Suez », put être constituée au capital de 200 millions de francs, divisé en 400 000 actions de 500 F. 207 111 furent souscrites en France, 15 247 à l'étranger et 177 642 par Mohammed-Saïd, qui s'était fait réserver le stock. Ce succès, loin de désarmer les Britanniques, ne fit que les exaspérer davantage. Le vice-roi passa outre aux récriminations de leurs agents et, le 25 avril 1859, le premier coup de pioche fut enfin donné par Ferdinand de Lesseps, sur l'emplacement actuel de Port-Saïd.
 
La période des travaux (1859-1869).









Ferdinand de Lesseps

La nature géologique et la configuration des terrains que devait traverser le canal étaient éminemment favorables à un travail de cette nature. L'isthme tout entier appartient aux formations tertiaires et, tandis qu'entre Suez et les lacs Amers le sol est à peu près exclusivement constitué par une argile plus ou moins épaisse, on ne rencontre plus guère au delà et jusqu'à la Méditerranée, que des sables, et, sur un point seulement, un peu de marne. Le relief est, en outre, fort peu accusé : les seuils de Chalouf, du Serapeum et d'El Guisr coupent seuls le tracé, sans dépasser d'ailleurs, le premier 4 à 5 m d'altitude, le deuxième 14 m, le troisième 18,5 m; ailleurs, le niveau demeure sensiblement, d'une extrémité à l'autre, celui de la mer, avec de profondes dépressions aux lacs Amers et au lac Timsah. Les terrassements devaient donc être relativement faciles, et, malgré un développement de 162 kilomètres, le cube à extraire ne devait pas dépasser 75 millions de mètres, dont près des deux tiers en dragages sous l'eau. Mougel-Bey et Linant-Bey furent placés à la tête des travaux, et l'entreprise générale en fut confiée à Hardon. Ils commencèrent simultanément par l'établissement d'une rigole entre le Nil et le lac Timsah, pour l'approvisionnement des travailleurs en eau douce, par la construction d'un port sur la Méditerranée, au débouché futur du canal dans cette mer, et par l'ouverture d'une tranchée, entre ce point, qui reçut, en l'honneur du vice-roi, le nom de Port-Saïd, et le lac Timsah, où les eaux de la Méditerranée arrivèrent le 18 novembre 1862. Jusqu'aux premiers mois de 1863, tout, du reste, marcha à souhait le gouvernement égyptien fournissait, suivant l'engagement par lui pris, des travailleurs, des fellahs, dont le nombre dépassa bientôt 25000 et qui étaient payés de 3 à 4 piastres par jour, nourriture comprise, soit à peine 4 F; la main-d'œuvre se trouvait ainsi assurée dans les meilleures conditions pour les entrepreneurs, et le mètre cube de déblai ne revenait, et moyenne, qu'à 0,68 F.
Mais l'opposition anglaise veillait. Déjà, au commencement de 1860, elle avait tenté une nouvelle agression et il n'avait rien moins fallu, pour neutraliser ses attaques, que faire intervenir auprès de la Sublime-Porte Napoléon III, gagné de bonne heure à la cause du canal par Ferdinand de Lesseps, parent de l'impératrice. Cette fois, la situation, se compliquait, pour la Compagnie, de la mort récente de Mohammed-Saïd, auquel venait de succéder Ismaïl-Pacha. D'autre part, le sultan, suzerain de l'Egypte, n'avait jamais ratifié par écrit les firmans de concession.
L'arrivée du courrier des Messageries maritimes à Port Saïd.









L'arrivée du courrier des Messageries maritimes à Port Saïd. Au fond, le palais de la Compagnie de Suez. (photo du début du XXe s.).

Une campagne d'intrigues fut, à la faveur de ces circons tances, très habilement menée, pour le compte de l'Angleterre et avec le concours occulte, assure-t-on, du duc de Morny, par Nubar-Pacha, premier ministre d'Ismaïl, et, au mois de mai, le vice-roi faisait connaître à Ferdinand de Lesseps que, l'état de choses créé par son prédécesseur préjudiciant gravement aux intérêts de l'agriculture, il se voyait contraint, pour se conformer aux représentations de la Sublime-Porte, de subordonner la continuation des travaux à un certain nombre de modifications dans les contrats primitifs : suppression de la corvée obligatoire des fellahs, abandon du canal d'eau douce, rétrocession de la presque totalité des terres cultivables concédées à la Compagnie à titre de domaine particulier. Le coup faillit être fatal. Hardon, l'entrepreneur général, dut, faute d'ouvriers, résilier; les travaux furent, sur de nombreux points, suspendus et, pendant plusieurs mois, la plupart des chantiers demeurèrent déserts. Ce fut Napoléon III qui, une fois encore, sauva la situation. Accepté comme arbitre par les deux parties, il rendit, le 6 juillet 1864, une sentence qui condamnait le gouvernement égyptien à payer à la Compagnie une indemnité de 84 millions de francs, soit 38 millions pour le supplément de dépenses devant résulter de la substitution d'ouvriers européens et de machines aux ouvriers égyptiens, 30 millions pour les rétrocessions de terres, 10 millions pour les travaux faits ou à faire au canal d'eau douce, 6 millions pour les droits qui auraient pu être perçus sur ce canal. Le 22 février 1866, une nouvelle convention, abrogeant presque complètement celle de 1856, fut signée, et le 19 mars un firman du sultan Abdul-Aziz donna enfin à la concession la consécration souveraine.
Sur tous les chantiers, d'ailleurs, les travaux, désormais placés sous la direction générale de l'ingénieur Voisin-Bey, avaient repris, dès la fin de 1864, avec une activité nouvelle. Trois grandes entreprises se les partageaient : Borel et Lavalley pour les dragages, les frères Dussaud, pour les jetées de Port-Saïd, Couvreux pour le seuil d'El-Guisr, et comme il avait fallu, pour compenser la diminution de main-d'oeuvre causée par la suppression de la corvée, donner aux procédés mécaniques une plus large extension, ils avaient réuni dans l'isthme un matériel colossal, représentant un total de 17 à 18 000, chevaux-vapeur et comprenant notamment, pour le déversement direct des déblais sur les rives, une vingtaine de grandes dragues, d'un type nouveau, munies de longs couloirs latéraux, de 70 m de longueur. La seule entreprise Borel et Levalley comptait, dans le total précité, pour 13 000 chevaux-vapeur et elle disposait de 14 petites dragues, 60 grandes dragues, 18 élévateurs, 67 gabares, 36 porteurs de caisses de déblais, 52 locomobiles, 6 machines fixes, 1 grand bateau à vapeur, 4 canots à vapeur, 12 canots remorqueurs. 15 bateaux-citernes. Les ouvriers étaient au nombre de 13 500, dont 6500 Egyptiens ou Syriens et 7000 Européens. A la fin de 1866, le terrain était attaqué sur tous les points et on extrayait mensuellement 1.200.000 m².
Un an plus tard ce chiffre était porté à 2 millions. Mais il en restait encore 40 millions, et les fonds se trouvaient épuisés. Les difficultés diplomatiques, qui ne s'étaient plus du reste reproduites, furent alors remplacées par des difficultés financières. On en vint plus facilement à bout, quoique non sans peine, car le crédit se montra rétif et une première émission de 100 millions de francs d'obligations (333.333 à 300 F), ne produisit tout de suite que 40 millions. Une émission complémentaire, celle-là en obligations à lots, faite l'année suivante (1868), puis la vente d'une partie des terrains restés à la Compagnie, satisfirent aux derniers besoins. Le 18 mars 1869, les eaux de la Méditerranée pénétrèrent dans le grand bassin. Le 15 août, la digue qui retenait la mer Rouge au Sud du petit bassin fut coupée et les eaux des deux mers se joignirent dans les lacs Amers. Le 17 novembre, le canal fut solennellement inauguré, à Port-Saïd, en présence du khédive, de l'impératrice Eugénie, de l'empereur François-Joseph, du prince royal de Prusse, du prince et de la princesse des Pays-Bas et d'une affluence considérable de personnages officiels et de curieux de toutes les nations. Plus de 80 bâtiments, dont 50 vaisseaux de guerre appartenant à toutes les marines du monde, s'y engagèrent à la file et, le 20, après seize heures de navigation effective, vinrent jeter l'ancre dans la rade de Suez. L'énergie indomptable et l'activité infatigable de Ferdinand de Lesseps avaient triomphé de toutes les difficultés et de tous les pièges. Il avait fallu, par exemple, dix années, au lieu des six annoncées, pour mener l'entreprise à bien, et au lieu de 200 millions de francs, il en avait été dépensé, intérêts des actions et tous, autres frais compris, plus de 400. Mais ce mécompte devait être compensé plus tard, et bien au delà, par une énorme plus-value dans les bénéfices et comptes. Notons toutefois que les premières années de l'exploitation furent désastreuses. Les actions, dont l'intérêt statutaire de 25 F. resta pendant trois ans et demi impayé, descendirent en 1871 à 200 F, et la même année, la Compagnie dut émettre 120.000 bons trentenaires de 400 F, rapportant 8 F et remboursables à 125 F.









Konigin Wilhermina Traversant le canal de Suez

Description du canal à son achèvement
Le canal de Suez est orienté du Nord au Sud, suivant le le méridien de 32° 20' de longitude Est, qui passe tout près de Port-Saïd et dont il ne s'écarte que fort peu jusqu'à son entrée dans les lacs Amers. Deux ports marquent ses deux extrémités : au Nord, à son débouché dans la Méditerranée, celui de Port-Saïd, créé de toutes pièces ainsi que la ville, en 1860, à l'extrémité Est de la langue de terre qui sépare le lac Menzaleh (anc. lac Maréotis) de la mer; au Sud, à son débouché dans la mer Rouge, celui de Port-Thevvfik, qui n'est qu'une dépendance de Suez, ancienne ville arabe. A égale distance et près d'un ancien village arabe, Bir-abou-ballah, une troisième ville, Ismaïlia, fondée, trois ans après Port-Saïd, en 1863, servait de résidence au personnel dirigeant des services de la Compagnie. La longueur exacte du canal est de 161,150 km. Sans écluses et par conséquent de niveau avec la mer, qui y entre librement, il longe d'abord, en partant de PortSaïd (kil. 1), où une statue en bronze de 7,50 m de hauteur, oeuvre du sculpteur Frémiet, a été élevée, en 1899, à Ferdinand de Lesseps, et jusqu'à al-Qantara (kil. 45), premier village que l'on rencontre sur ses rives, le grand lac Menzaleh, vaste lagune, qu'il laisse tout entière, à l'Ouest. Il coupe, au même village, l'ancienne route d'Egypte en Syrie (il s'y trouvait un bac pour les caravanes et les bestiaux), puis, entre les kilomètres 28 et 55 et endigué, le lac Ballah, franchit, au milieu des dunes et par une profonde tranchée, le seuil d'El-Guisr, le plus élevé de son parcours, qui a, au kilomètre 72, 18,50 m d'altitude, et arrive, en vue d'Ismaïlia, au lac Timsah, peu profond et où un chenal lui a été ménagé. Il rencontre ensuite, au kilomètre 90, le seuil du Serapeum, de 14 m d'altitude, et le village du même nom, se déverse, au kil. 98, dans le grand lac Amer, qui est dominé, au Sud-Ouest, par les monts Geneffé, et où la navigation s'effectue librement, comme en pleine mer, passe, au kil. 120, du grand dans le petit lac, où il a fallu, comme dans le lac Timsah, creuser un chenal, rentre, au kil. 134, dans les terres, et après avoir traversé, au kil. 143, le seuil de Chalouf, de 4 à 5 m, à peine d'altitude, puis, au kil. 150, la route du Caire à la Mecque (bac); côtoie, pendant ses 10 derniers kilomètres, la rade de Suez et débouche dans la mer Rouge, à 3 kilomètres au Sud-Est de Suez, à Port-Thewfik.
La profondeur d'eau était, au début, de 8 m. A la suite des grands travaux d'amélioration qui ont été entrepris en 1884 sous la haute surveillance d'une nouvelle commission technique internationale et pour lesquels il a été dépensé près de 420 millions, elle a été portée à 9 m. En même temps, la largeur au plafond, qui était partout uniformément de 22 m, et la largeur à la ligne d'eau, qui variait de 58 m, au passage des seuils, à 100 et 112 m au voisinage des deux mers, ont été considérablement augmentées. La largeur au plafond est partout à cette époque d'au moins 37 m et la largeur à la ligne d'eau varie de 73 m à 132 m. L'inclinaison des talus diffère aussi beaucoup. Il a fallu tenir compte, en effet, de la nature des terrains traversés, et de 2 pour 1 seulement là où le sol est résistant, la porter, dans les sables, à 4 pour 1. Des banquettes de 2 à 4 m de largeur ont en outre été ménagées un peu au-dessous de la ligne d'eau : recouvertes d'enrochements, elles préservent les berges contre le clapotis des vagues. Enfin, de distance en distance, des élargissements-gares ont été pratiqués. Avant les travaux d'amélioration, le croisement des navires s'y effectuait exclusivement. (Il existe aujourd'hui deux tronçons de dérivation encore pour permettre le croisement des navires de dimensions exceptionnelles). Creusés, presque tous, près des campements établis pour les travailleurs pendant la période de construction, ils sont encore, quoique plusieurs aient été par la suite supprimés, au nombre de dix : Rassouah (kil. 4), Raz-el-Ech (kil. 14), Tineh (kil. 25), le Cap (kil. 35), Kantara (kil. 45), Ballah (kil. 55), El-Ferdane (kil. 65), Cheik-Ennedek (kil. 85), Geneffé (kit. 134), Chalouf (kil. 146). En face de chacun d'eux, sur la rive, est un sémaphore. Des constructions solides et bien aménagées, où habitaient le chef de gare, les télégraphistes, les agents d'entretien, les matelots et leurs familles, ont, en outre, peu à peu, remplacé les vieilles baraques du temps de la construction.
La figure ci-dessous représente un profil en travers de l'élargissement-gare d'El-Ferdane, au moment du croisement de deux grands bâtiments. Le navire à droite est le Herzog, postal allemand (5016 tonnes) amarré dans l'élargissement, tandis que passe, à gauche, le Clan Robertson; cargo-boat anglais (3502 tonnes). Au second plan est figuré le profil normal tel qu'il se continue en amont de l'élargissement.










Elargissement-gare d'El-Ferdane, sur le canal de Suez.

Le canal de Suez a assez peu changé depuis son ouverture, même si, dans la seconde moitié du XXe siècle, il a été sensiblement élargi (193 m en 1976, 315 m en 1990) et approfondi (15 m en 1976, 19,5 m en 1980, 23,5 m en 1990). Une nouvelle branche à aussi été ouverte au Nord, en 1980, pour délester Port-Saïd.
Le Canal de Suez, voie de communication stratégique.
La neutralisation du canal.
Aux termes des firmans de concession, le canal de Suez est, à l'origine, nous l'avons vu, « universel » et, de plus, « neutre ». La Compagnie concessionnaire est, d'autre part, « égyptienne », bien qu'elle ait été organisée en France par des Français, qu'elle soit régie, en tant que société, par la loi française et que son administration ainsi que son domicile attributif de juridiction soient à Paris. Ses titres sont même considérés, en principe, par l'enregistrement comme « valeurs étrangères » et, à l'expiration de la concession, en 1968, le canal devait revenir, moyennant rachat du matériel, au gouvernement égyptien. Cette situation, déjà, par elle-même, suffisamment anormale, s'est trouvée, de fait, rapidement compliquée encore par la position de dépendance du pacha d'Egypte à l'égard du sultan et aussi, surtout même, par les convoitises et l'ingérence chaque jour croissantes de l'Angleterre, qui, après avoir tout fait pour entraver la construction du canal, dont elle ne voulait même pas entendre parler, s'en servit ensuite le plus (60 % du tonnage total, dans les dernières années du XIXe siècle) et le considérait comme indispensable à sa vie.
La première grosse difficulté fut soulevée en 1873, lorsque la Compagnie voulut apporter certaines modifications dans l'assiette et le taux des péages. Les armateurs se récrièrent et la Sublime-Porte, travaillée par l'Angleterre, ayant donné ordre an vice-roi de faire avancer ses troupes et d'occuper les établissements du canal, Ferdinand de Lesseps dut, devant la force brutale, accepter le régime qui lui fut, en quelque sorte, dicté. L'année suivante, en 1875, le cabinet anglais acheta secrètement au vice-roi, alors très gêné, ses 176.602 actions, ce qui, avec celles appartenant à d'autres porteurs anglais, assurait désormais à l'Angleterre, ou peu s'en fallait, la majorité dans les assemblées de la Compagnie, et, en 1877, au début de la guerre russo-turque, il fit savoir au gouvernement russe, après avoir, tout d'abord, repoussé les propositions de neutralisation de Ferdinand de Lesseps, qu'il n'admettrait aucun acte de guerre à l'encontre du canal, pourtant territoire turc. La Russie s'abstint, au surplus, d'user de ses droits de belligérant et ce fut l'Angleterre elle-même qui, en 1882, sous prétexte de répression de l'insurrection d'Arabie, porta la première atteinte à la neutralité du canal. Dans la nuit du 19 au 20 août, sir Garnett Wolseley l'occupa militairement et, malgré une énergique protestation de F. de Lesseps, qui refusa ses pilotes, le ferma à la navigation jusqu'à ce que toute sa flotte l'ait tranquillement franchi. En vue de prévenir le retour de semblables éventualités, une commission internationale fut convoquée avec mission d'étudier un « règlement du libre usage du canal de Suez ». Composée de délégués de la France, de l'Angleterre, de l'Allemagne, de la Russie, de l'Italie, des Etats-Unis, de la Turquie, des Pays-Bas et de l'Espagne, elle se réunit à Paris, dans le courant de 1885, sous la présidence du directeur des affaires politiques, Billot, et elle élabora une convention, qui, d'abord repoussée par l'Angleterre, ne fut définitivement ratifiée que le 28 novembre 1888.
« Le canal maritime de Suez, y est-il dit, sera toujours libre et ouvert, en temps de guerre comme en temps de paix, à tout navire de commerce ou de guerre, sans distinction de pavillon. En conséquence, les hautes parties contractantes conviennent de ne porter aucune atteinte au libre usage du canal en temps de guerre comme en temps de paix [...]-»
Et plus loin :
« [...] Aucun droit de guerre, aucun acte d'hostilité ou aucun acte ayant pour but d'entraver la libre navigation du canal ne pourra être exercé dans le canal et ses ports d'accès, ainsi que dans un rayon de 3 milles marins de ces ports, alors même que l'empire ottoman serait l'une des puissances belligérantes »
La situation demeurera à peu près inchangée pendant une soixantaine d'années. C'est au gouvernement égyptien (et, jusqu'à la Première Guerre mondiale, au-dessus de lui, au gouvernement ottoman), qu'il appartient d'agir, le cas échéant, pour réclamer l'observation des dispositions du traité de 1888, et les agents des puissances ont, chaque année, au Caire, une réunion, où ils constatent que le traité a été, au cours de l'année précédente, ponctuellement exécuté. Cette convention suscita cependant de critiques, notamment en France, l'autre puissance impériale de l'époque : le gouvernement égyptien, à qui incombait, en premier, le soin de la faire respecter, était, en réalité, du fait du maintien de l'occupation anglaise, puis du protectorat anglais officialisé en 1914, sous la dépendance des Britanniques. Même cette occupation cessant, expliquait-ont, l'Angleterre resterait maîtresse d'Aden et de Périm, c.-à-d. de la mer Rouge. Or, qu'importait qu'on puisse entrer librement dans le canal par la Méditerranée si on n'en pouvait sortir. Pour qu'en tout état de cause la navigation du canal se trouvât effectivement garantie, il faudrait, ajoutait-on, que, d'une part, l'Égypte fût soustraite aux entreprises des puissances, que, d'autre part, la mer Rouge et ses abords fussent neutralisés.
La crise de Suez.
Dans les fait, le Royaume-Uni, qui conserva le contrôle du Canal même après l'indépendance de l'Egypte en 1926, remplit loyalement ses obligations, et l'accès libre au canal fut garanti à tous jusqu'en 1948, date de la fondation de l'Etat d'Israël. Et ce fut de l'Egypte, qui bloqua l'accès au canal pour les navires en provenance ou à destination de ce pays, que vinrent les difficultés. Cependant la crise la plus grave devait intervenir seulement en 1956, dans un contexte international complexe. Après le renversement de la monarchie et la prise de pouvoir par Gamal Abd al-Nasser, en 1952, l'Egypte, plus ou moins soutenue par l'URSS, se trouve en désaccord avec le Royaume-Uni et les Etats-Unis qui refusent de financer son projet de construction du grand barrage d'Assouan. Nasser décide alors, en représailles, de nationaliser la Compagnie du canal de Suez (26 juillet 1956). Une décision qui suscite les protestations du Royaume-Uni, principal pays lésé, mais aussi de la France, déjà irritée par l'aide apportée par l'Egypte au FLN algérien.









La crise de Suez 1956

Le Conseil de sécurité des Nations Unies est saisi. Mais avant que celui-ci réagisse, Israël, que les récentes livraisons d'armes par la Tchécolovaquie à l'Egypte inquiètent, lance une offensive militaire à travers le Sinaï le 29 octobre 1956. La Grande-Bretagne et la France lui emboîtent le pas deux jours plus tard. La RAF britannique et l'Armée de l'Air française bombardent les aréoports égyptiens et attaquent Port-Saïd. En quelques heures la zone du Canal passe entre les mains des assaillants. Les Etats-Unis, pris de cours par cette action, et l'URSS, qui menace de représailles massives, finissent par convaincre Israël, La Grande Bretagne et la France de se retirer. Des Casques bleus de l'ONU sont envoyés sur place pour sécuriser la zone et permettre la réouverture du Canal, bloqué par les Egyptiens au moment de l'attaque en y sabordant plusieurs bâtiments. La circulation des navires reprend en avril 1957. Nasser, grand vainqueur de l'affaire, s'engage cependant à garantir l'accès à la voie de navigation conformément aux termes de la convention de 1888 et à dédommager les actionnaires de la Compagnie du canal. Les marchandises et navires en provenance ou à destination d'Israël n'ont toujours pas accès au canal, mais Israël obtient l'ouverture du port d'Eilat (Elath) et le droit de navigation dans la Mer rouge.
Après la Guerre des Six Jours.
En juin 1967, à la suite du blocage du détroit de Tiran par l'Egypte, Israël, dont le port d'Eilat redevient inutilisable, attaque de nouveau l'Egypte (Guerre des Six jours) et parvient jusqu'au canal de Suez, dont la rive orientale passe sous son contrôle. Le canal restera fermé à la circulation jusqu'en juin 1975. Il est resté ouvert depuis, et a reconstitué rapidement son trafic. Du moins le trafic de marchandises, qui est d'ailleurs allé en croissant, dépassant en quelques années les 350 millions de tonnes. En revanche, les approvisionnements en pétrole de l'Europe et l'Amérique n'y recourrent plus que pour une part mineure. Les super-tankers, trop gros, ne peuvent l'emprunter de toute façon, et les oléoducs sont une alternative de plus en plus utilisée. 

Canal de Suez


Le canal de Suez est un canal situé en Égypte, long de 193,3 km, large de 280 m à 345 m et profond de 22,5 m, qui relie, via trois lacs naturels, la ville portuaire de Port-Saïd sur la mer Méditerranée et la ville de Suez sur le golfe de Suez (partie septentrionale de la mer Rouge), permettant ainsi de relier les deux mers.
Percé entre 1859 et 1869, grâce à une levée de fonds géante à la Bourse de Paris, sous la direction du diplomate retraité français Ferdinand de Lesseps, il permet aux navires d'aller d'Europe en Asie sans devoir contourner l'Afrique par le cap de Bonne-Espérance. Avant son ouverture en 1869, les marchandises devaient être transportées par voie terrestre entre la Méditerranée et la mer Rouge.
Avec l'augmentation du trafic, le canal est devenu la troisième source en devises de l'Égypte. Un blocage du canal entraînerait des pertes d'environ 7 millions de dollars par jour.
Le 6 août 2015, le président égyptien Al-Sissi inaugure le Nouveau canal permettant, après un an de travaux, de doubler la capacité de passage. Les travaux ont abouti sur l'approfondissement et l'élargissement du canal existant sur 35 km, ainsi que le creusement d'un nouveau canal de 37 km sur sa partie orientale.
Le canal est la propriété de la Suez Canal Authority, qui est aussi responsable de son administration et de sa gérance.

Antiquité

Il est probable que durant la XIIe dynastie, le pharaon Sésostris III (-1878 à -1843/-1842) ait fait creuser un canal orienté d'ouest en est à travers le Wadi Tumilat, reliant le Nil à la mer Rouge, afin de pouvoir commercer avec le Ta Netjer, permettant ainsi directement les échanges entre la mer Rouge et la Méditerranée. Son existence est certaine au XIIe siècle av. J.-C. pendant le règne de Ramsès II. Il a ensuite été abandonné. D'après l'historien grec Hérodote, des travaux pour remettre le canal en état auraient été entrepris vers - 600 par Nékao II, mais ne furent jamais achevés.
Le canal fut finalement terminé par le roi Darius Ier (vers - 550 à - 486), le conquérant perse de l’Égypte. Darius a illustré sa réalisation par diverses stèles de granit disposées sur les rives du Nil, dont celle de Kabret à 200 km de Pie. L'inscription de Darius dit :

Carte du canal des Pharaons. En pointillé, on remarque le niveau des eaux du golfe de Suez à l'époque de Sésostris III.
« Le roi Darius a dit : je suis un Perse. En dehors de la Perse, j'ai conquis l'Égypte. J'ai ordonné ce canal creusé depuis la rivière appelée Nil qui coule en Égypte à la mer qui commence en Perse. Quand ce canal a été creusé comme je l'ai ordonné, des bateaux sont allés de l'Égypte jusqu'en Perse, comme je l'avais voulu. »
Le canal fut de nouveau restauré par Ptolémée II vers - 250. Au cours des mille années qui suivirent, il fut successivement modifié, détruit et reconstruit, notamment par Amru ben al-As en 640, et devint le « canal du Commandeur des croyants ». Il est finalement détruit au VIIIe siècle par le calife Al-Mansur pour isoler la ville de Médine, et éviter ainsi le risque d'une attaque.

Renaissance


Venise, au début du XVIe siècle, est confrontée à la concurrence des Portugais dans le commerce en Orient. Vasco de Gama a en effet découvert en 1498 une nouvelle route contournant l'Afrique par le cap de Bonne-Espérance. Les Portugais évitent ainsi de payer les taxes du sultan d'Égypte pour le commerce et le transport des épices. Mais cette nouvelle concurrence nuit à Venise, qui procurait les épices à l'Europe via l'Égypte. Les Portugais pourront en effet proposer des prix plus bas aux clients de Venise (les Hongrois, les Flamands, les Allemands et les Français). Il faut donc trouver une solution pour améliorer le passage des épices en Méditerranée. Et dans le débat de Pregàdi, la République de Venise a l'idée de creuser un canal reliant la Méditerranée et la mer Rouge. Le Conseil des Dix recommande en mai 1504 à Francesco Teldi, son envoyé auprès du sultan, « une chose(...) que beaucoup envisagent comme une mesure tout à fait opportune pour empêcher et interrompre la navigation des Portugais, c'est-à-dire qu'avec facilité et rapidité de temps il serait possible de faire un canal depuis la mer Rouge qui relie directement cette mer-ci. » Néanmoins le projet n'aboutit pas, à cause de la situation interne égyptienne.

En 1586, avec l'aval du Sultan Mourad III, le Grand Amiral de la flotte ottomane Euldj Ali entreprend de creuser l'ancien canal reliant Suez à la mer Rouge. Mais à ce moment la guerre de Perse se rallume de nouveau,Constantinople se trouve engagée dans d'énormes dépenses et le projet est donc ajourné.

Époque contemporaine

Les premiers projets

Sous le Directoire, les Français envoient plusieurs savants (dont Jacques-Marie Le Père) dès 1798 lors d'expéditions en Égypte, dans le but d'étudier s'il était possible de percer l'isthme de Suez. Dès les années 1820, Linant de Bellefonds, et plus tard Ferdinand de Lesseps, partisans de la doctrine socio-économique du saint-simonisme, avaient déjà envisagé la construction d'un canal reliant la mer Rouge à la Méditerranée. Un premier projet de canal fut présenté aux Égyptiens en 1833 par Prosper Enfantin, un des principaux Saint-Simoniens, ingénieur et économiste français, qui fonde la Société d'études pour le Canal de Suez.
Médaille en bronze doré du concours international du commerce de Suez, à l’effigie d’Abbas II Hilmi
À l'époque, le projet ne retient pas l'attention du vice-roi d'Égypte Méhémet Ali. Les Saint-Simoniens, sous l'impulsion d'Enfantin et de François Barthélemy Arlès-Dufour, poursuivent néanmoins le projet et créent en 1846 une société d'étude pour le canal de Suez. Cette société réalise un nivellement topographique précis de l'isthme ; il vient rectifier les données d'un premier nivellement, effectué lors des campagnes de Bonaparte, et qui signalait neuf mètres de différence entre le niveau de la mer Rouge et celui de la Méditerranée, en raison d'une erreur de triangulation, survenue dans les calculs de Jacques-Marie Le Père de 1799. Le nouveau nivellement réalisé par Paul-Adrien Bourdaloue indique une différence si faible qu'un canal sans écluse devient possible.

Un canal controversé

En 1860, seulement 5 % des navires fonctionnent à la vapeur. Le canal est pourtant conçu pour une navigation exclusivement motorisée ; sa construction est donc un pari. Dans la décennie qui suit, les marines marchandes vont s'équiper en masse.
La construction du canal ne tarde pas à créer des tensions ; les Britanniques notamment s'opposent à sa réalisation, qui donnerait une grande influence française sur cette région située en un point stratégique de la route des Indes. La Grande-Bretagne soutenait d'ailleurs le principe d'une ligne ferroviaire égyptienne, à laquelle le canal ferait concurrence.
Les Anglais font arrêter les travaux à plusieurs reprises : en octobre 1859 avec l'aide du ministre des Finances de l'Empire ottoman, Mouktar Bey, puis à la mort de Saïd en 1863. La construction du canal se poursuit néanmoins grâce au soutien de Napoléon III. Avec la fin de la colonisation de l'Afrique, les rivalités franco-britanniques se multiplient dans la région et le canal de Suez n'est qu'une d'entre elles.

La construction du canal
À partir des plans établis par Linant de Bellefonds et Alois Negrelli, et discutés et adoptés par la Commission Internationale pour le percement de l'isthme de Suez, la Compagnie universelle du canal maritime de Suez de Ferdinand de Lesseps construit le canal entre 1859 et 1869. À la fin des travaux, l'Égypte, à hauteur de 44 % de sa valeur, et 21 000 Français en étaient conjointement propriétaires.

L'état des travaux en mai 1862

On a estimé que 1,5 million d'Égyptiens participèrent à la construction du canal et que plus de 125 000 y moururent, principalement du choléra mais ces chiffres furent critiqués, considérés comme étant très exagérés.
C'est le qu'un premier navire emprunte le canal achevé, mais il n'est officiellement inauguré que le par l'impératrice Eugénie sur le navire L’Aigle, suivie par Ferdinand de Lesseps et des administrateurs du canal à bord du Péluse, de la Compagnie des messageries maritimes, commandé par Auguste Caboufigue. Pour l’inauguration du canal, le Khédive Ismaïl Pacha, commande l’opéra Aida à Giuseppe Verdi. Tout de suite après cette inauguration, le canal devient le cœur des rivalités franco-anglaises.
En 1875, la dette extérieure de l'Égypte la contraint à vendre ses parts au Royaume-Uni à prix d'aubaine – 4 000 000 £ – qui veut retrouver son influence sur la route des Indes. En 1882, des troupes britanniques s'installent sur les rives du canal pour le protéger et remplacent l'Empire ottoman comme tuteur du pays. Les Anglais parviennent ainsi à prendre le contrôle du canal sans avoir eu à financer sa construction.

Une des premières traversées, au XIXe siècle

Le , la convention de Constantinople confirme la neutralité du canal, déclaré « libre et ouvert, en temps de guerre comme en temps de paix, à tout navire de commerce ou de guerre, sans distinction de pavillon ».
Plus tard, durant la Première Guerre mondiale, les Britanniques négocient les accords Sykes-Picot qui divisent le Moyen-Orient de façon à réduire l'influence française dans la région : le Royaume-Uni obtient la Palestine et la Jordanie et laisse aux Français la Syrie plus au nord.Au XXe siècle, la valeur des actions augmente fortement ; en posséder devient un signe d'appartenance à la classe bourgeoise. 

La crise de Suez 

Le , Nasser, président de la République d'Égypte, saisit le canal et transfère le patrimoine de la compagnie du canal à la Suez Canal Authority. Cette « nationalisation » (d'après les mots de Nasser) avait pour but de financer la construction du barrage d'Assouan après que les États-Unis ont refusé de le financer. Les avoirs égyptiens sont aussitôt gelés et l'aide alimentaire supprimée, à la suite des protestations des principaux actionnaires, alors britanniques et français. En représailles, Nasser dénonce la présence coloniale du Royaume-Uni au Proche-Orient et soutient les nationalistes dans la guerre d'Algérie.
Le , le Royaume-Uni, la France et Israël se lancent dans une opération militaire, baptisée « opération Mousquetaire ». Cette action est justifiée par la restitution aux actionnaires qui ont financé et contribué à la prospérité du canal de ce qui, selon le droit international et les accords passés, leur appartient.
L'opération de Suez dure une semaine. Les Nations unies optent cependant pour la légitimité égyptienne et rédigent une résolution condamnant l'expédition franco-israélo-britannique. Nombre d'actionnaires, français, britanniques et égyptiens, sont donc ruinés, puisque l’Égypte refuse de les indemniser. Il s'ensuivra des cas de suicides parmi les anciens actionnaires français, des manifestations devant l'ambassade d'Égypte, des pétitions mais le tout restera sans effet.
La France vit alors une période de très forte croissance, les Trente Glorieuses, marquées par un boom de l’investissement et de la consommation, qui n’est pas perturbé par les autres tensions géopolitiques apparues en 1955 et 1956 : indépendance du Maroc et de la Tunisie, ou nationalisation du canal de Suez. 

Guerre des Six Jours, guerre du Kippour : 8 ans de fermeture 

Onze ans plus tard, en juin 1967 lors de la guerre des Six Jours, Israël occupe l'ensemble du Sinaï et donc la rive orientale du canal, qui va rester fermé pendant 8 ans, jusqu'en juin 1975. Quatorze navires de commerce sont ainsi bloqués pendant 3 016 jours sur le lac Amer, formant la flotte jaune. 

La liste des navires de la flotte jaune


le Nordwind (Allemagne de l'Ouest)
le Münsterland (Allemagne de l'Ouest)
le Killara (Suède)
le Nippon (Suède)
l’Essayons, ex-Sindh (France)
l’Agapénor (Royaume-Uni)
le Mélampus (Royaume-Uni)
le Scottish Star (Royaume-Uni)
le Port Invercargill (Royaume-Uni)
l’African Glen (États-Unis), qui coulera en 1973 pendant la guerre du Kippour ;
le Djakarta (Pologne)
le Boleslaw Bierut (Pologne)
le Vassil Levsky (Bulgarie)
le Lednice (Tchécoslovaquie)


Israël construit une ligne de défense sur la rive orientale : la ligne Bar-Lev.
En octobre 1973, l'Egypte et la Syrie attaquent Israël par surprise, c'est le début de la guerre du Kippour. La zone du canal redevient une zone de combats. L'armée égyptienne franchit le canal et pénètre profondément dans le Sinaï avant que les forces israéliennes, après quelques jours, ne reprennent le dessus et franchissent à leur tour le canal. Une force de maintien de la paix de l'ONU est déployée, la FUNU II qui reste sur place jusqu'en 1974.
Pendant cette longue fermeture, les pétroliers s'adaptent en renforçant la création de supertankers qui contournent à nouveau l'Afrique, mais ne sont plus assujettis à la contrainte de gabarit imposée par la taille du canal. 

Juin 1975 : réouverture du canal 

Après 15 mois de travaux, de déminage du canal et de ses abords, avec l'aide des marines américaines, britanniques et françaises, qui permettent de retirer 45 500 mines, 686 000 engins anti-chars et anti-personnels et 209 tonnes de matières explosives, le canal est officiellement rouvert le 5 juin 1975 par le président Anouar el-Sadate qui le descend de Port-Said à Ismaïlia. Le lendemain, le premier convoi franchit le canal vers la Méditerranée. Durant quelques mois, le temps de remettre en état complet les installations du canal, un seul convoi par jour peut passer, avec un tirant d'eau maximal de 10 mètres.
À la suite de l'augmentation de la piraterie autour de la Corne de l'Afrique à la fin des années 2000, il est évoqué la possibilité de l'éviter à nouveau. Mais les revenus assurés par le canal, bien qu'en diminution, sont vitaux pour l'Égypte. Ils représentent la troisième source de devises : 5 milliards de dollars par an (chiffre 2013), soit 20 % du budget de l'État.

Agrandissement et nouveau canal en 2015 

Carte du Canal de Suez
Le canal en 2015.
Le 5 août 2014, l'Égypte annonce son intention de creuser un deuxième canal parallèle au canal de Suez sur sa partie orientale, afin de permettre de supprimer la circulation alternée des convois dans cette partie du canal. Ce nouveau canal a une longueur de 72 km et coûte environ trois milliards d’euros. Ce projet réduit le temps d’attente maximale de passage pour les bateaux de 11 à 3 heures. Les travaux impliquent l'approfondissement et l'élargissement du canal existant sur 35 km, ainsi que le creusement d'un nouveau canal de 37 km au niveau de la ville d'Ismaïlia. Les premiers tests de navigation commencent le alors que six navires répartis en deux groupes de trois traversent l'extension du canal dans le cadre de ce test. L'ouverture du nouveau canal a eu lieu le .
Le canal de Suez rapporte en 2015 environ 5,3 milliards de dollars par an à l'Égypte. Selon les projections financières égyptiennes de 2015, le canal doit rapporter chaque année 13,2 milliards de dollars en 2023 avec les améliorations.

    Chronologie

    • 1832 : Ferdinand de Lesseps est nommé vice-consul de France à Alexandrie.
    •  : les Saints-Simoniens embarquent à Marseille pour se rendre en Égypte. Ils ont déjà des idées en tête concernant le canal.
    •  : Mohammed Saïd, le fils de Méhémet Ali devient vice-roi d’Égypte. Il accorde à Ferdinand de Lesseps le pouvoir exclusif de constituer la compagnie qui percera l’isthme de Suez.
    •  : une souscription est ouverte pendant un mois pour récolter des fonds pour la compagnie.
    •  : Ferdinand de Lesseps constitue la Compagnie universelle du canal maritime de Suez, elle s’occupera de creuser le canal.
    •  : le premier coup de pioche est donné pour la construction du canal.
    •  : Mohamed Saïd meurt et laisse sa place à son neveu Ismaïl Pacha.
    •  : Ferdinand de Lesseps organise la première visite du chantier du canal aux personnalités qui le désirent.
    •  : le canal est inauguré par l’Impératrice Eugénie dont le navire est suivi de 77 navires de nations maritimes.
    •  : nationalisation du canal de Suez par Nasser.
    • Octobre-novembre 1956 : intervention armée de la France, du Royaume-Uni et d'Israël, le trafic est interrompu.
    • 1967 : après la guerre des Six jours, l'armée israélienne occupe le Sinaï jusqu'aux rives du canal qui est alors fermé pendant huit ans.
    •  : réouverture du canal de Suez
    • 5 aout 2014 : début des travaux de doublement d'une partie du canal et d'élargissement, 72 km sur les 163 km de voie d'eau, les travaux durent un an.
    • 6 août 2015 : inauguration du Nouveau canal de Suez.

    Caractéristiques 

    Coupe type du canal

    Sa largeur moyenne est de 345 m (initialement 52 m). Sa largeur minimale est de 280 m. La largeur navigable sous 11 m de tirant d'eau est de 190 m (initialement 44 m). Le canal entre Port-Saïd et Suez a une longueur de 162 km. Les chenaux d'accès au nord et au sud portent la longueur totale de l'ouvrage à 195 km. Trois chenaux de dérivation d'une longueur totale de 78 km sont situés à Port-Saïd, dans le lac ancien d'El Ballah et au Grand Lac Amer.
    Schéma comparatif des tailles du canal entre 1870 et 2010

    Par suite de sa faible profondeur, les supertankers vident une partie de leur pétrole en entrant dans le canal, et les rechargent en sortant, le pétrole en question circulant par oléoduc.
    Le canal d'une profondeur de 24 m permet le passage de navires de 20,12 m de tirant d'eau (66 ft) depuis les derniers travaux de 2010 contre 22,5 m auparavant
.
Les navires ayant les dimensions limites les autorisant à franchir le canal de Suez sont appelés Suezmax. Il en est de même pour le canal de Panama les navires sont appelés Panamax.
Quelque 20 000 navires traversent le canal chaque année, représentant 14 % du transport mondial de marchandises. Un passage prend de onze à seize heures.
La traversée d'Est en Ouest du canal est, la plupart du temps, assurée par des bacs. Plusieurs ouvrages permettent cependant de traverser le canal :
  • le pont du Canal de Suez, construit entre 1992 et 1999, qui enjambe le canal au niveau d'El Qantara (mot arabe signifiant « pont »), et qui laisse un espace de 70 mètres au-dessus du canal permettant un tirant d'air maximal pour les navires de 68 mètres,
  • le pont d'El Ferdan, qui est également le pont tournant le plus long du monde,
  • le tunnel Ahmed Hamdi, au sud du Grand Lac Amer, d'une longueur de cinq kilomètres, creusé sous le canal. Inauguré en 1980, est utilisé par les automobilistes égyptiens pour se rendre dans la presqu'île du Sinaï et gagner les stations balnéaires de la mer Rouge.
Enfin, le canal est également traversé par des canalisations d'eau douce 57 km au nord de Suez, et par une ligne haute tension, construite en 1999.

Milieu naturel

Du point de vue environnemental, la construction du canal a eu comme premier effet d'isoler physiquement l'Afrique de l'Asie, pour toutes les espèces animales non volantes. C'est la première coupure écologique aussi importante jamais conçue et réalisée par l'Homme, avant celle de Panama qui a séparé les deux Amériques, du Nord et du Sud.
Le transfert de millions de mètres cubes d'eau via le canal, en mettant en contact deux mers séparées depuis des centaines de millions d'années, a été l'occasion de migrations massives d'espèces et de parasites ou microbes, dont certaines ont un potentiel invasif, soit par le canal, soit par l'eau de ballast des navires ou par les propagules transportées sous leur coque. Les invasions biologiques d'espèces marines se faisant par l'intermédiaire du canal ont été baptisées « migrations lessepsiennes », et elles menacent l'équilibre écologique déjà précaire de la mer Méditerranée.
Les fumées et gaz d’échappement des navires contribuent à polluer et acidifier l'air et provoquer des pluies acides dans la région (cf. fioul lourd mal désoufré ou même non désoufré).
Le canal de Suez en permettant d'éviter le passage au sud de l'Afrique a plus que décuplé le trafic marchand méditerranéen . Alors que la zone couvre moins de 1 % de tous les océans, c'est aujourd'hui environ 30 % du volume du trafic maritime mondial qui provient de cette zone ou y arrive ou la traverse (sans intérêt économique direct pour ses 305 ports et pour les régions littorales de Méditerranée, et sans écotaxe). Le CEDRE estime que 50 % des marchandises transportées dans ce « couloir » doivent être « considérées comme dangereuses à différents degrés ». Le risque d'une grave marée noire persiste, avec 28 % du trafic pétrolier maritime mondial transitant par la Méditerranée où les tempêtes sont parfois violentes.

Sécurité maritime

En dépit de mesures de précaution et de sécurité accrues ; outre le risque d'attaques ou d'actes terroristes sur des navires naviguant sur le canal, les risques d'accident persistent.

Accidents

Dès son ouverture, le canal de Suez a connu des accidents. En 1920, le Karaboudjan, un bateau à vapeur, a pris feu en traversant le canal et a explosé, tuant près de la moitié de ses marins et bloquant la traversée du canal pendant trois jours. C'est en souvenir de cette catastrophe que Hergé a appelé, le cargo du capitaine Haddock, le Karaboudjan.
Le risque de marée noire est le plus craint ; déjà en 1956, quand Nasser a nationalisé la Compagnie du canal de Suez, 50 % des approvisionnements pétroliers français et britanniques y passaient.
Les accidents les plus récents sont :
  • celui du Al Samidoun en  ;
  • celui du pétrolier battant pavillon libérien, le Grigoroussa 1 qui a heurté le une berge dans la partie sud du canal, perdant environ 3 000 tonnes de fioul lourd sur 58 000 tonnes, sur une distance de plus de 20 km, avant qu'on ait pu l'entourer de barrages flottants et le remorquer jusqu'au port de Suez ; les autorités du canal n'ont pas détaillé par la suite les mesures de dépollution qui auraient pu avoir été entreprises ;
  • en , c'est un bateau utilisé pour la maintenance du canal de Suez, le Khattab, qui fait naufrage en pleine nuit (deux morts, six blessés et cinq disparus) près d'Ismaïlia.

Attentats terroristes

Les « goulets d'étranglement » ne permettent pas la croissance du trafic ni de la taille des cargos et sont considérés comme des « talons d'Achille de l'économie pétrolière mondiale » (l'exemple le plus notable est le détroit d'Ormuz (30 % du tonnage pétrolier).
Fin aout 2013, le porte-conteneurs le Cosco Asia a été la cible d'une attaque terroriste alors qu'il remontait le Canal vers la Méditerranée. Cette attaque, sans réelle conséquence pour le navire, met en lumière les problèmes de sécurité et la difficulté pour l'armée égyptienne de prévenir les attentats.
C'est pourquoi des bases navales et une flotte de guerre sont entretenues en permanence dans la région par les États-Unis (5e flotte dans l'Ouest de l'océan Indien, et 6e en Méditerranée), assistés par la France à Djibouti et à Abu Dhabi.

Transit


Le transit des navires est organisé en convois alternés (sud → nord et nord → sud), au rythme d'un convoi par jour en route vers le nord et deux convois en route vers le sud. Les navires se croisent au Grand Lac Amer principalement. Un deuxième croisement se fait pour le deuxième convoi en route vers le sud au by-pass de El Ballah.
Navires du 2e convoi amarrés au by-pass de El Ballah
Chaque navire en transit embarque successivement quatre pilotes au minimum, l'un pour le chenal d'accès au nord, le deuxième de Port-Saïd à Ismaïlia, le troisième d’Ismaïlia à Suez, le dernier pour le chenal d'accès au sud, ainsi qu'une ou deux embarcation(s) armée(s) de lamaneurs ainsi qu'un électricien. Le premier et le dernier pilote sont des pilotes de port et ne font pas partie de la société du canal.
La réglementation exige également que les navires en transit soient pourvus d'un projecteur agréé. Ce projecteur placé à la proue, permet d'éclairer si besoin, les berges dans le cas où un vent de sable réduirait la visibilité. Il est possible de louer un projecteur agréé auprès des autorités du canal.
Les pilotes du canal sont ici responsables du respect de l'ordre prévu dans les convois, ainsi que du passage en temps et en heures à plusieurs sémaphores (ou stations) placés le long du canal.

Stations de signaux du canal de Suez

Les stations sont présentes tous les dix kilomètres environ.
  • Port Saïd
    • Râs el 'Ish, El Tîna, El Câp, El Quantara
  • El Ballâh (By-pass)
    • El Firdân, El Ismâ 'ilîya, Tûsûn, Déversoir
  • Grand lac amer
    • El Kabrît, El Gineifa, El Shallûfa
  • Suez
Des remorqueurs participent au convoi pour pallier toute avarie de propulsion. Les navires se suivent à une distance d'environ un mille marin et la vitesse de transit est approximativement de neuf nœuds.
Les petits bateaux à voile qui désirent transiter, doivent également embarquer du personnel local spécialisé.

Sources




  • Site de la Suez Canal Authority pour les dimensions du canal, des navires et le mode de fonctionnement
  • Règles de navigation
  • Clifton Books, 100 years of the Suez Canal, Brighton, R.E.B. Duff, 1969.
  • Ferdinand de Lesseps, Question du Canal de Suez, Paris, Henri Plon,
  • André Fontaine, L'Affaire du canal de Suez, 1956, consulté le 12 novembre 2016 : http://histgeo.free.fr/troisieme/gf/suez.html
  • Béatrice de Durfort, Luc Forlivesi, Philippe Feinsilber, Olivier Mevel, Fondation Napoléon et centre historique des archives nationales : http://www.napoleon.org
  • Marie-Françoise Berneron-Couvenhes, Les Messageries maritimes, l'essor d'une grande compagnie de navigation française (1851-1894), Paris, Presses universitaires de Paris-Sorbonne,
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